La présence chinoise en Afrique - Economie (1)

Il est coutumier de voir dans la présence chinoise en Afrique le spectre d’un éternel recommencement, admettant que l’Afrique serait à la Chine ce que la Chine fut jadis à l’Europe de la mondialisation. Autrefois clé de voûte des relations internationales, la mondialisation porte désormais plus souvent le costume de responsable du pillage des ressources du sud au profit du Nord, dans une forme de néo-colonisation. Dans ce paysage, la Chine assume une posture à part, en marge des autres puissances, vis-à-vis notamment de son rapport à l’Afrique.

Par  
Etienne Garnier
,  
Temps de lecture 
13
min.

Le phénomène de mondialisation s’est en grande partie révélé par l’attractivité de zones du monde dans lesquelles les normes sociales et environnementales étaient peu contraignantes, suscitant une délocalisation des activités en demande d’une main d’œuvre abondante et peu qualifiée. Il s’est également nourri du désir de grands acteurs économiques de résoudre l’équation de l’accès aux ressources stratégiques de pays dépourvus d’infrastructures suffisantes.

De cet intéressement jaillissent des phénomènes d’occupation qui, s’ils n’ont pas – toujours - les traits d’une colonisation, transforment en profondeur la vie locale, pour le meilleur comme pour le pire.

Analyser la présence chinoise en Afrique n’écarte donc pas la comparaison avec la présence occidentale d’antan et d’aujourd’hui, bien que la Chine s’emploie à créer autour de son activité en Afrique l’idée d’un partenariat entre pays anciennement occupés, partageant fraternellement les stigmates de l’occupation occidentale. Cette posture contraste avec celle des anciens pays coloniaux, qui cherchent derrière l’outil de l’aide au développement une volonté de réconciliation souvent perçue comme relevant d’une approche “néo-coloniale”.

Une lecture opportuniste mais originale, qui révèle la volonté chinoise de faire de l’Afrique un allié de poids sur la scène politique internationale : les conséquences des activités chinoises en Afrique dépassent donc très largement les frontières de celle-ci. 

La réalité contredit parfois le discours officiel du gouvernement Chinois à l’attention des institutions internationales : les chantiers pharaoniques d’accès aux ressources révèlent souvent un investissement partagé entre acteurs chinois, européens et africains, au soutien desquels la France n’est pas en reste. 

Déconstruire les idées reçues : l’Afrique n’est pas qu’un terrain d’investissement pour la Chine

Le mythe selon lequel les investisseurs chinois se bousculent aux portes de l’Afrique à la recherche de parts juteuses sur des marchés naissants et prometteurs est en partie fondé, mais ce processus n’est qu’une pièce d’un puzzle plus large et plus complexe . 

Certes, la Chine marque son ultra-présence dans sa participation aux projets d’infrastructure (routes, aéroports, complexes commerciaux, culturels et sportifs) mais cette participation s’analyse beaucoup plus en prestations de services qu’en termes d’investissements réels. Autrement dit, s’il existe bien des pays dans lesquels la Chine est un investisseur colossal (le Laos concentre à lui seul 35% de l’investissement chinois réalisé sur tout le continent africain),les pays d’Afrique n’en font– en apparence - pas partie. 

On observe cependant qu’une part importante des prestations de service ainsi réalisées prennent la forme de financements à la réalisation de projets d’infrastructures, lesquels ont trait au secteur énergétique, celui des transports ainsi que de l’immobilier. La Chine n’est pas sans ignorer les besoins du continent africain, pour lesquels elle représente un levier de financement sans précédent, permettant à de nombreux pays d’améliorer leurs infrastructures, in fine de faciliter leur accès aux ressources énergétiques et minières. 

L’important pouvoir financier des banques et entreprises chinoises n’est donc pas uniquement au service d’éventuels profits réalisés sur une économie africaine en plein essor, il est également une porte d’entrée à la détention de parts réelles sur l’ensemble du parc immobilier africain. Un phénomène sous-jacent qui ne manque pas d’inquiéter au regard de l’endettement progressif du continent africain à l’égard des prêteurs chinois qui, s’ils semblent accorder facilement leur argent, n’en demeurent pas moins gourmands dans les contreparties associées.

Opacité des flux d’argent dans « la Coopération Sud-Sud » 

Incarnée par le FOCAC (le Forum sur la Coopération Sino-Africaine), la collaboration Chinafrique réunit partenaires africains et chinois dans l’institution d’une politique d’aide et d’assistance au développement au niveau global, qui réunit dons non monétaires destinés au développement, prêts sans intérêts et prêts concessionnels (à taux d’intérêts bas sur moyen ou long terme).

Créé en 2000, ce forum a pour ambition de rappeler que la Chine tisse avec l’Afrique un partenariat d’égal à égal, de « sud à sud », ainsi rappelé par le nom donné à leur coopération. Cet éloignement perceptible de la sphère des anciennes puissances coloniales est l’occasion de rappeler les caractéristiques d’une telle alliance : égalité entre les partenaires, mutualité des bénéfices et non-ingérence dans les affaires intérieures de chacun.

Si le statut de partenaire “égal à égal” peut paraître hypocrite - la Chine est la deuxième puissance mondiale, avec 20Mds$ de PIB contre 2Mds$ cumulés pour les 56 pays africains en 2022 - le gouvernement chinois entretient une relative opacité quant à la nature et au montant des dons ou prêts accordés aux états africains, qu’il qualifie parfois à tort d’aide publique au développement (APD). 

L’APD entretient une définition très stricte au sens de l’OCDE qui la caractérise comme « l’aide fournie par les États dans le but exprès de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement ». Certes un peu vague, elle intègre toutefois une composante humaine et sociale qui, selon certains experts, reste difficile à évaluer au regard des objectifs des prêts accordés par Pékin aux pays africains qu’elle considère comme stratégiques.

Sous couvert de neutralité, les données sur l’assistance chinoise manquent cruellement de transparence sur leurs effets concrets en Afrique. La Chine ne publie à ce titre aucun rapport, estimant qu’il n’est pas de l’intérêt des pays aidés d’être propulsés sur la scène du favoritisme de Pékin. Une mauvaise image internationale assumée à demi-mots donc.

Une politique de partenariat réellement amorcée à la fin des années 90, qui tarde à s’extirper des travers autrefois constatés dans la relation qu’avait l’Afrique avec les anciennes puissances coloniales, qui « tenait du monologue » selon Thierry Pairault. Et le directeur de recherche émérite sinologue et socio-économiste d’ajouter : « entre la Chine et l’Afrique, la relation est profondément asymétrique ».

« La Chine s’aide plus qu’elle n’aide l’Afrique en lui accordant des milliards de dollars »  

Avec – en l’état des données recueillies - près de 160 milliards de dollars accordés pour plus d’un millier de prêts à travers le continent sur la période 2000-2020, la Chine est l’une des puissances étrangères qui injecte le plus d’argent dans le continent.

S’agissant de la Chinafrique, le terme « injection » est on ne peut plus approprié pour qualifier la générosité des flux d’argent des banques chinoises vers les compagnies publiques et états africains, tant et si bien que l’Afrique est aujourd’hui endettée à hauteur d’une très large moitié de son PIB (56% en 2019), dont une majeure partie à l’égard de la Chine.

« la Chine est devenue en vingt ans le principal bailleur de l’Afrique subsaharienne, détenant 62,1 % de sa dette externe bilatérale en 2020, contre 3,1 % en 2000 » observe la direction générale du Trésor, qui constate un taux d’endettement important écrasant chaque année le record de l’année précédente. L’occasion venue de dresser un bilan des 20 ans d’une politique d’investissement agressive qui, faute de bénéficier au développement des économies africaines, qui tarde à se faire sentir, a en réalité tout d’un retour à l’envoyeur. 

« Les prêts chinois ont été accordés à un moment où le continent africain attirait les investisseurs et ils ont permis aux entreprises chinoises de s’y installer », constate Déborah Brautigam, qui consacre ses recherches à l’observation des relations sino-africaines. 

Devant les prêts consacrés à la santé (1 milliard de $) et à l’éducation (1,7 milliard), la Chine a semblé ces 20 dernières années s’investir d’avantage sur le triptyque infrastructures de transport (46,8 milliards), ressources énergétiques (40,5 milliards) et minières (18 milliards). 

Or, nombre des chantiers d’envergure consacrés à l’extraction du pétrole, des minerais et leur voies d’acheminement sont précisément l’œuvre de compagnies de travaux chinoises récemment implantées, facturant à l’Afrique l’argent dont elle bénéficie en vertu des plans de prêts chinois. 

A cela s’ajoute le puissant royaume de la téléphonie mobile apporté, clefs en main, par des géants chinois comme Huawei et ZTE qui s’efforcent d’accompagner l’Afrique dans la sphère high-tech et qui, pour se faire, remportent de nombreux marchés publics (équipements de pointe, centres informatiques, gestion des données ou systèmes de cybersécurité). 

Les pays africains qui bénéficient de prêts destinés aux marchés stratégiques convoités par la Chine deviennent alors les intermédiaires comptables entre organismes de prêts chinois et entreprises chinoises, qui parviennent à boucler la boucle, s’octroyant en prime la pénétration des marchés stratégiques. 

Source : statista

L’asymétrie du partenariat Chine-Afrique met en lumière l’essoufflement d’une politique chinoise impropre à porter le développement du continent africain

…Si toutefois un tel développement était une priorité pour les investisseurs chinois. D’un point de vue économique, l’Afrique semble simplement être à l’origine d’opportunités pour la Chine, lui permettant à la fois l’importation de matières premières (ressources énergétiques, bois, minerais, produits agricoles) et l’accès à des marchés d’exportation de produits manufacturés, tant et si bien que les échanges commerciaux Chine-Afrique se chiffrent à 254 milliards de $ en 2021, 35% de plus qu’en 2020.

Derrière cette somme rondelette, qui n’est représentative que des flux entrant et sortant entre les partenaires, l’idée « d’échange » est à relativiser. Sans parler de racket commercial, il semble que la Chine tire profit de l’Afrique qu’elle rend dépendante par ses importations et ses nombreuses dettes (souvent soldées en matières premières et parts réelles sur son parc immobilier), tandis que le boum économique et développemental recherché par cette dernière est relativement inégal et partiel. 

Les derniers sommets du FOCAC (2020 et 2021) ont par ailleurs révélé une Chinafrique lucide sur les illusions dont l’alliance était bercée, à savoir qu’il aurait suffit d’injecter milliards sur milliards pour voir l’économie africaine fleurir. Les discussions ont ainsi amené les représentants chinois à admettre une légèreté fautive sur la rentabilité des opérations menées en Afrique, alors que certains Etats en sont réduits à payer leurs dettes en hydrocarbures (Angola) ou à subir de plein fouet la baisse du prix des matières premières (Zambie), réduisant à néant leurs chances de rembourser leurs différents créanciers.

Plus largement, les sommes allouées au financement de projets d’envergure n’auraient que très peu ruisselé sur les économies locales, gavant ici et là de gros opérateurs économiques en occultant, en Afrique, les enjeux de partage des richesses qu’on lui connaît. Grands absents de l’ordre du jour, les enjeux humains et environnementaux corollaires des chantiers pharaoniques d’accès aux ressources souterraines sont souvent négligés. (voir aussi : projet d’oléoduc chauffé dans les environs du Lac Victoria : une controverse justifiée ?)

Ni mea culpa ni changement de stratégie pour autant, la coopération « Sud-Sud » reste bien décidée à écrire l’histoire d’un partenariat porteur d’espoir pour l’Afrique et d’opportunités pour la Chine, à l’image du - quasi-biblique - projet des Nouvelles routes de la soie commencé en 2013, intégrant entre l’Asie et l’Europe une Afrique de l’Est fluide de transports maritimes et terrestres, permettant l’avènement d’une immense boucle de la soie : « Belt and Road Initiative », anciennement appelée « One Belt One Road ».

Pour prétendre se conjuguer à sa mythique ancêtre, cette Nouvelle route de la soie ne fait pas dans la dentelle (rires) : ce sont plus de 1600 projets de construction à travers l’Asie du Sud et l’Afrique, réunissant voies ferrées, autoroutes et modernisation des ports et aéroports.

Un élan faramineux, qui contraste avec l’apparence prise de recul des investisseurs chinois.

Source : Thierry Gauthé pour Courrier international

La Chine s’octroie parfois la part du lion au moyen d’une politique de prêt trop généreuse 

Mais ce n’est pas non plus une généralité. La Chine a été amenée à annuler certaines dettes d'États africains devant notamment leur incapacité à payer et les conséquences négatives qui en découleraient. Un geste politique qui ne ressemble en rien au “paternalisme” économique des Nords : l’annulation des dettes chinoises à l’égard de certains pays africains prend davantage la forme d’un partenariat politique. 

Il ne suffit hélas pas d’effacer l’ardoise pour voir ses obligations disparaître, et survit alors pour l’Afrique une dette politique qui se liquidera à la tribune des instances internationales, aux yeux de tous. Le paternalisme chinois - qui n’en est pas un - sert donc des ambitions géopolitiques, et annuler une dette permet parfois, à court terme, de renforcer les relations diplomatiques avec le pays, quand bien même les sommes annulées seraient dérisoires (en 2018, la Chine a fait don au Cameroun de la somme de 78,4 millions de dollars, alors même que sa dette publique bilatérale s’élevait à 10 milliards de dollars).

Mais la pratique régulière des prêteurs chinois ressemble plus à un tour de force sur les actifs dont bénéficient les pays africains en vertu de l’argent accordé. Anticipant les défauts de remboursement quant aux sommes allouées, ceux-ci s’octroient souvent une part léonine sur les biens construits. Le deal est limpide : si le remboursement n’est pas matériellement réalisable, ceux-ci se contentent de s’approprier – en parts réelles – l’infrastructure en question, ou à détourner une partie de l’extraction des matières que celle-ci permet. Une forme de remboursement en nature, qui engendre cession de biens publics et perte de souveraineté de l’Afrique au profit de la Chine. 

A titre d’exemple, l’Angola est aujourd’hui endetté auprès de la Chine d’une part importante de ses exportations de pétrole, que l’Etat livre pour rembourser les dettes liées au coût des infrastructures d’extraction - évaluées et construites par les compagnies de travaux chinoises. Loin d’être un cas isolé, le continent regorge de situations comparables.

Ces cessions renforcent in fine l’influence politique de la Chine sur des infrastructures – réalisées par elle – devenues essentielles à l’économie africaine.

Ne nous y trompons pas ; bien que Pékin soit très impliquée dans les axes de coopération sino-africains, la grande majorité des projets d’infrastructure bilatéraux sont le fait de compagnies chinoises privées à la recherche d’opportunités économiques : « Si vous voulez construire à grande échelle, vous vous adressez soit à une entreprise occidentale, soit à une entreprise chinoise. Et à chaque fois, c’est l’entreprise chinoise qui propose un prix inférieur ».

Bien que la détention de parts réelles sur le parc immobilier africain puisse asseoir la position de la Chine sur les ressources stratégiques qu’elle convoite sur le continent (ressources minières et pétrolières principalement, produits agricoles ensuite), c’est la rentabilité, plus que le gouvernement chinois, qui a propulsé les compagnies de travaux chinoises en Afrique. 

Kenya : Train empruntant la ligne SGR (Standard Gauge Railway) construite par la China Road and Bridge Corporation (CRBC) Cette ligne de train relie Nairobi, la capitale, à l’immense port commerciale de Mombasa. Crédits : Thomas Mukoya

Mozambique : le pont suspendu de Maputo-Katembe construit et financé par la Chine Road and Bridge Corporation (CRBC). Crédits : Mowana Engineers

Ouganda : traversant le parc national des Murchison Falls, cette autoroute est financée et réalisée par une compagnie de travaux chinoise. Crédits : Inès Astié (Les Routes de l’Innovation)

La neutralité politique des prêts chinois laisse aux anciennes puissances coloniales le monopole d’une bienfaisance toute relative 

« With no political string attached » : telle est la devise des prêts accordés par les banques chinoises, qui n’exigent de leur débiteur aucune contrepartie politique, et s’attachent donc à financer tout régime sans égard aux impacts de sa politique.

Cette devise incarne les principes de respect mutuel et de non-ingérence caractérisant la coopération Sud-Sud, qui emprunte au registre international une expression permettant de tracer une ligne politique différente de celle du paternalisme Nord-Sud. 

Une réelle rupture avec celle des anciennes puissances coloniales, à l’image de la France comme des institutions européennes et internationales telles que l’Union Européenne, le Fonds monétaire International (FMI) ou l’Organisme de coopération et de développement économique (OCDE), qui cherchent - non sans mal - à donner aux politiques de financement une coloration politique, en accordant un soutien financier conditionné par la réalisation de certains objectifs axés sur des enjeux politiques, humains et environnementaux. 

C’est par exemple la vocation de l’Accord de Cotonou qui réunit, entre autres, Union Européenne et Etats africains : signé en 2000 pour une durée de 20 ans, récemment reconduite avec l’accord dit « Post-Cotonou », les plans de soutien financiers accordés fonctionnent à la carotte et visent principalement à lutter contre l’extrême pauvreté. Toute aide financière est alors conditionnée par des objectifs de réformes institutionnelles, de mesures de développement durable ou de réduction de la pauvreté. 

S’agissant de la Chine, il n’en est rien, ou presque ; la seule obligation imposée par les banques chinoises à ses partenaires africains se résume à snober, sur la scène internationale, l’île de Taiwan et sa politique. 

De deux choses l’une : soit la Chine est indifférente vis à vis des conséquences sociales et environnementales des politiques mises en substances par les fonds qu’elle accorde, soit le modèle international et européen s’auto-satisfait en pensant mener par la main une Afrique juvénile, incapable de gérer et d’assumer par elle-même les conséquences de ses politiques. Ou bien les deux ?

 « Adressée directement aux gouvernements, l'aide est facile à subtiliser. Ainsi, elle encourage la corruption à grande échelle et fragilise le pouvoir, objet des plus vives convoitises. Plus grave encore, l'aide sape l'épargne, les investissements locaux, la mise en place d'un vrai système bancaire et l'esprit d'entreprise »

Toujours est-il que la Chine refuse la destinée manifeste que s’infligent les anciens royaumes coloniaux et les institutions internationales créées par eux, à la manière d’un retour compatissant censé racheter les folies de la colonisation. Le soutien financier de la Chine à l’Afrique n’est quant à lui pas une excuse. L’Afrique est pour elle un partenaire commercial, dont le soutien politique sur la scène internationale s’achète comme on achèterait une paire de chaussures : les prêteurs chinois ne voient donc aucune raison de serrer le goulot, et laissent à d’autres le monopole de la philanthropie.

Conséquences, la Chine finance donc nombre d’exactions sur le continent africain, à l’image du régime répressif d’Omar el-Béchir au Soudan, la déforestation massive de la forêt tropicale du Zambèze au Mozambique, ou encore la pollution excessive des eaux du Nigéria par l’entreprise chinoise Wemco, ayant entraîné une répression sévère des manifestations s’y opposant. Matériellement, l’argent des prêts chinois impacte parfois très négativement les populations concernées, mais la causalité ne se résume toutefois qu’en termes financiers. 

Parallèlement, il existe d’inquiétantes réserves sur les conséquences de la bienfaisance de l’Aide Publique au Développement administrée par les institutions européennes et internationales sur le continent africain, dont les effets sont parfois étourdis par une mauvaise gestion endémique de ces fonds.

 « Adressée directement aux gouvernements, l'aide est facile à subtiliser. Ainsi, elle encourage la corruption à grande échelle et fragilise le pouvoir, objet des plus vives convoitises. Plus grave encore, l'aide sape l'épargne, les investissements locaux, la mise en place d'un vrai système bancaire et l'esprit d'entreprise » constate tristement l’économiste zambienne Dambisa Moyo. 

Nombre de ses confrères africains analysent également l’aide publique au développement comme une œuvre humanitaire louable mais un geste sans élan, rendant dépendants de ces fonds les pays pauvres qui en bénéficient. Sur le terrain, les résultats tardent à apparaître, la dynamique s’essouffle mais l’argent, lui, continue de pleuvoir.

« On se demande si ce fonds n’est pas une prime au mauvais élève », ironise Issa Abdelmamout, économiste et ex-ministre des finances tchadien. Selon lui, la corruption et le manque de surveillance post-prêt annihile tout espoir de voir un jour une réalisation concrète des objectifs de l’APD. Ainsi, si l’intention est louable, ces fonds de bienfaisance trouvent trop souvent un usage et une destination semblables aux prêts accordés sans conditions par la Chine. 

Evitons donc l’écueil d’un manichéisme trop évident : les externalités négatives sont des paramètres qui échappent aux radars de l’argent, et toutes les politiques menées à ce jour semblent démontrer un relatif échec face à une Afrique en plein essor, très inégale et peu standardisée aux enjeux sociaux et environnementaux. 

« La Chine n’est ni un sauveur ni un démon pour l’Afrique» : Rationaliser l’impact économique de l’influence chinoise

Ni sauveur ni démon, l’approche pourrait nous paraître un brin cynique. Les détracteurs invétérés de l’influence chinoise en Afrique n’ont de cesse de pointer les désastres humains et environnementaux dont la Chine est complice, parfois actrice. En oubliant parfois que la majeure partie des activités chinoises en Afrique sont le fait d’acteurs privés qui, s’ils servent la stratégie globale de Pékin ,sont avant tout à la recherche d’opportunités économiques. 

La Chine ne se proclame nullement sauveur de l’Afrique, si toutefois l’Afrique nécessitait d’être sauvée ; le développement économique qu’elle convoite, tout comme ses homologues européens, est plus la promesse d’un renforcement du partenariat Chinafrique qu’une fin en soi. 

A ce titre, les récents sommets sino-africains s’avèrent être extrêmement lucides sur l’avenir (et le passé) de la coopération Sud-Sud ; l’Afrique bénéficie des externalités positives de l’implantation chinoise, notamment des centaines de projet d’infrastructures jusqu’ici aboutis sur l’ensemble du continent ainsi que de l’accès aux ressources énergétiques et minières dont elle dispose. Et pour cela, l’Afrique « sacrifie » souveraineté et biens publics, et accepte d’être l’alliée inconditionnelle de la Chine sur la scène internationale.

Pour son industrialisation, le chèque en blanc chinois se paye et se paiera cher : sans le savoir, des dizaines de millions de citoyens africains pâtiront d’un endettement excessif, qui au regard des capacités dont disposent certains États africains pourrait se conduire sur plusieurs générations (difficile de ne pas penser à l’Ethiopie ou au Mozambique). 

La Chine tisse avec l’Afrique un lien de dépendance qui l’avantage sur la scène internationale, mais la question de savoir si un tel processus obéit à une stratégie politique ou est au contraire totalement aveugle n’est pas si tranchée qu’elle n’y paraît.

« Le gouvernement chinois n’est pas le plus important dans ce phénomène. Si on regarde de façon plus objective la situation, la Chine est à l’origine d’opportunités formidables pour les économies africaines » précise Howard French, qui incline à penser que la construction de biens gouvernés et stables est un atout stratégique pour les pays africains. Pour lui, la Chine n’aurait pas l’intention de se détourner de l’Afrique, notamment au regard des projets pharaoniques qu’elle a entrepris sur son territoire (voir carte). Bien qu’asymétrique, l’idée d’un partenariat sur le long terme est favorable au développement du continent : l’Afrique a pu bénéficier de centaines de milliards de dollars injectés par la Chine pour fluidifier ses liaisons commerciales, qui finiront de l’inclure pleinement dans la nouvelle ceinture Asie – Europe.

Selon Howard French, une meilleure gestion de la manne chinoise est la clé pour améliorer le rendement des prêts accordés, mais elle nécessiterait une modification des standards politiques africains, ce qui n’est pas une priorité pour la Chine.

N’étant pas abstinentes d’ingérence, les puissances européennes et nord-américaines ont quant à elles mesuré les enjeux tenant à une meilleure gestion des richesses en Afrique, qui favoriserait un ruissellement sur l’ensemble des populations. Conscients de l’impact social et environnemental de nombreuses multinationales implantées en Afrique et surtout extrêmement soucieux de leurs images, les pays occidentaux achètent en aides publiques au développement ce qu’ils coûtent à l’Afrique en capitalisme sauvage. Une schizophrénie politique dont la Chine ne s’embarrasse pas, en assumant à sa manière le rapport uniquement pécuniaire qui l’unit à l’Afrique : les bons comptes feront les bons amis. 

Il n’y a donc – toujours - pas de lecture manichéenne à offrir de la place de chacun en Afrique : tant les investisseurs chinois que leurs homologues occidentaux et américains y ont perçu d’immenses opportunités économiques. La Chine n’est pas plus intéressée par l’Afrique qu’elle ne l’est par le reste du monde, et son ultra présence sur les nouveaux marchés africains n’est en rien surprenante. 

L’Afrique offre cependant un visage du résultat d’années d’occupations par les empires ex-coloniaux, et il est difficile de ne pas voir dans les agissements chinois l’histoire se répéter. Face à l’endettement, face aux cessions de biens publics et à la dépendance économique de l’Afrique à la Chine, l’indépendance politique durement acquise prend – parfois - des allures d’artifices.

Dans la même rubrique
Eau et conflits
August 1, 2022

Augmentation du stress hydrique et de potentiels conflits liés à l’eau à Lamu, Kenya

Economie

La présence chinoise en Afrique - Economie (1)

environnement
May 11, 2022

Projet d’oléoduc chauffé dans les environs du lac Victoria : une controverse justifiée ?