Augmentation du stress hydrique et de potentiels conflits liés à l’eau à Lamu, Kenya

Partout, l’accès à l’eau se complique. Les sécheresses à répétition, la dégradation des sols et des nappes phréatiques et l’augmentation du niveau général des températures à la surface du globe imposent des contraintes physiques aux populations qui se situent dans des zones sensibles. Le Nord du Kenya est marqué par de grandes sécheresses et une crise de l’eau depuis une dizaines d’années. Cet article résume la situation du Kenya, via un focus sur l’accès à l’eau à Lamu, île connue pour ses paysages hors du temps et ses plages paradisiaques - qui est pourtant confrontée à une augmentation des conflits liés à l’eau.

Par  
Matteo Cassoret
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La situation du Kenya à l’heure actuelle et l’état de stress hydrique

La rareté de l’eau est un problème persistant au Kenya depuis des dizaines d’années. La situation actuelle de l’eau au Kenya est le résultat d’une répartition inéquitable de la ressource entre régions et d’une mauvaise desserte des bassins d’eau potable à travers le pays. Dès lors, près de 20.5 millions de Kenyans n’ont pas accès à l’eau potable. Par ailleurs, le changement climatique perturbe le cycle de l’eau tant en quantité, en intensité, en forme des flux qu’en saisonnalité. L’une des premières conséquences anthropiques se fait sentir sur l’agriculture qui emploie 70% de la population rurale et représente 53% du PIB du pays (FAO, 2022). 

Pour autant, l’agriculture est elle-même responsable de certaines perturbations du cycle de l’eau à l’échelle régionale, du fait des captations d’eau pour l’irrigation. Lorsque le cycle de l’eau est modifié, le climat l’est aussi : est alors déclenché un cycle d’effets en chaîne pouvant avoir comme conséquence jusqu’à la désertification de certaines zones d’habitation. C’est par exemple ce que l’équipe des Routes de l’Innovation a pu constater au pied du Mont Kenya, où les habitants étaient confrontés à une sécheresse  alors même que la région était connue pour ses terres particulièrement fertiles quelques dizaines d’années auparavant.

Les communes étant dépourvues d’infrastructures, les populations locales font face à la pauvreté et dépendent entièrement de leur environnement direct, et donc de l’eau, pour pouvoir vivre. Aussi on sait que, plus longue est l’exposition des populations à un manque d’eau, plus la propension qu’un conflit éclate s'accroît (Delvin et Hendrix, 2014). C’est ainsi que des conflits agro-pastoraux sont en cours dans le Nord Kenya. L’eau tendant à s’y raréfier, les tribus élevant du bétail cherchent à accéder à l’eau pour leurs survies et celle de leurs bétails ; se confrontant alors aux agriculteurs. Ces rencontres sont souvent impressionnantes car très violentes, et accroissent par ailleurs le niveau de dangerosité du Nord Kenya selon les autorités.

Au-delà du simple cas agro-pastoral, les conflits sont aggravés par les inégalités sociales, la marginalisation économique et la dépendance au quotidien à un accès à l’eau (Patrick, 2020). En effet, les individus dépourvus de la ressource n'ont bien souvent que peu de pouvoir de décision dans les communautés auxquelles ils appartiennent. Lors des épisodes de sécheresse, ils sont rendus impuissants et manifestent également leur désaccord par la violence. 

De toutes les communautés, ce sont celles des bords de mer qui sont les plus affectées par le changement climatique notamment du fait de  ses conséquences sur l’accès à l’eau. Le risque est particulièrement élevé pour ces communautés dans la mesure où la montée des eaux peut provoquer une intrusion d’eau salée dans les réserves d’eau potable, en plus des inondations dans les zones marécageuses. Mais les conséquences ne sont pas simplement liées au cycle de l’eau : la hausse de la concentration en CO2 de l’atmosphère acidifie les océans, ce qui affecte les écosystèmes marins, et avec eux, la pêche. La violence des évènements climatiques est amplifiée du fait de la modification du climat. 

L’accès à l’eau à Lamu : une répartition inégale des ressources

La région de Lamu souffre de stress hydrique depuis plusieurs années maintenant. Situé le long de la côte Nord-Est, Lamu est l’un des 47 comtés du Kenya. La région est marquée par des infrastructures peu développées qui la rendent fortement dépendante du stock d’eau souterrain. Or ce dernier s’épuise, alors même que la région est en pleine croissance démographique. Il est ainsi estimé que la population sera multipliée par douze à l’horizon 2030 (1,25 millions d’habitants prévus).

L'archipel de Lamu, en tension croissante liée à l'eau dans le Nord Kenya

En 2016/2017, 41,5% des habitants trouvent leur eau au fond de puits creusés à la main directement dans le sol, 43,5% la trouvent au fond de puits creusés par des machines et seul 6,9% de la population dépend du système d’approvisionnement d’eau local. L’eau de pluie fournit 5,8% des besoins en eau de la population et on la récolte par le biais de « djabias » répartis dans les villages.

Chaque djabias peut contenir 200 m3 d’eau, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 150 à 180 personnes. Pour accéder au système de distribution il faut s’acquitter d’une taxe qui constitue une barrière à l’entrée puisque très peu ont les moyens de payer pour accéder à de l’eau. La demande d’eau segmente donc ménages vulnérables et ménages plus aisés. De nombreux agriculteurs dépendent ainsi de la quantité d’eau disponible dans les puits creusés par les communautés pour vivre. Environ 83% des femmes puisent leur eau dans des puits et la population de Lamu compte 76% de sans-emploi, donc sans revenu qui  permet de payer pour un accès à l’eau.

Dans l’étude menée par Yvonne Maingey et. al, 86,21% des personnes interrogées expliquent parcourir plus de deux kilomètres pour se fournir en eau.

Trouver de l’eau à Lamu : des moyens variés reposant peu sur des infrastructures locales trop instables

Histoire de l’eau  à Takwa, entre légende et faits réels

Les anciens de la région racontent qu’autrefois Lamu était partagé entre trois villages, Lamu ville, Takwa et Manda. La compétition pour le commerce étant très importante, beaucoup de jalousie et d’hostilité se faisaient sentir, à tel point que les trois villages ne pouvaient se réunir pour la prière. Le sultan qui résidait alors à Lamu ville prit la décision de déménager le village de Takwa vers Shella, une presqu’île plus avancée sur la mer.

Shella est un désert de sable blanc où la terre est difficilement cultivable. Les habitants de Takwa s’en accommodèrent, puisqu’ils étaient seulement désireux de trouver une terre où prier. La légende raconte qu’alors, Allah les récompensa en leur donnant accès à l’eau de la meilleure qualité - ressource inestimable à l’heure actuelle. 

L’utilisation de l’eau à Lamu

La majorité de l’eau à Lamu est directement consommée pour boire (47,4%), elle sert aussi à cuisiner, à laver et à se laver (34,4%), seuls 4,7% de l’eau sert à produire un revenu. Dans les communautés musulmanes (majoritaires dans la région), la collecte d’eau est une affaire d’hommes bien que de plus en plus d’enfants en prennent la responsabilité. L’homme s'occupe de la collecte, de la maintenance des canalisations ainsi que de la recherche de nouveaux points d’eau lorsqu’une pénurie survient. Dans les communautés non musulmanes, elle est l’affaire de la femme.

A Lamu, on cultive surtout la coco, la mangue, le coton, et la noix de cajou qui servent pour l’agriculture commerciale. Les habitants de la région cultivent le maïs, le sorgho et le manioc pour leur propre consommation. L’eau est aussi utilisée lors des rites religieux comme les ablutions avant la prière, elle doit alors être propre et claire.

Contraste certain entre la vie des communautés locales et le tourisme sur l’île de Lamu : il est courant de voir des piscines dans les hôtels recevant des touristes. Ces dernières sont vidées après chaque saison, ce qui est évidemment considéré comme du gaspillage par les locaux.

Les usages se sont modifiés avec la raréfaction de la ressource puisque l’agriculture de subsistance est venu récupérer des parts de l’agriculture commerciale. Sur la période 1996-2016, 47,8% de la population déclare avoir changé son mode d’approvisionnement à cause de l’épuisement du précédent. Cette situation est certes le résultat de causes naturelles, mais certaines pénuries sont dues au vieillissement des canalisations qui sautent et ne sont pas réparées, comme nous le notions en introduction. Il y a un manque d’action politique certain mais puisque le gouvernement considère le comté comme touristique, et donc riche, il n’a pas vocation à y rediriger des capitaux pour les communautés locales.

Quelles solutions peuvent être envisagées ?

La situation sur place est critique, la région est au bord d’une crise qui s'accompagne d’actes de violence. En 2014, une attaque terroriste à Mpeketoni fait 68 morts et divise majorité musulmane et minorité chrétienne.

L’usage de l’eau pour la prière par les musulmans est controversé par les chrétiens qui s’en servent pour manger et boire principalement, alimentant les tensions. Dans le district de Shella, bien que des contestations se font entendre, la gouvernance de l’eau est régie par les anciens de la communauté musulmane, qui, du fait de l’histoire de la localité, imposent comme ordre de priorité la prière avant la consommation directe. 

Aux conflits d'intérêts entre locaux s’ajoutent les migrations inter et intra-régionales. Des bergers de la région de Garissa (au nord de Lamu) traversent la frontière en quête d’eau puisqu’eux-même font face à des pénuries. Seul le district de Shella régule l’accès à l’eau, ce qui le prémunit en quelque sorte. Dans les autres districts, le partage de l’eau entre migrants et locaux donne lieu à des tensions lorsque la ressource vient à manquer. D’une part les migrants revendiquent leur droit d’accès à l’eau - bien commun -, d’autre part les locaux deviennent de plus en plus réticents à la partager lorsqu’elle manque. Une solution pour parvenir à des interactions plus apaisées pourrait être de créer des conseils de discussion traitant du partage des quantités disponibles.

Crédits photos : Hiiran Online - News and information about Somalia

A ces migrations pour la survie s’ajoutent les migrations économiques entraînées par les projets d’investissements comme le projet LAPSSET. Ce projet massif d’investissements amènerait à Lamu un port avec 32 postes d’amarrages, un aéroport international, des autoroutes, des lignes de chemin de fer ainsi que des oléoducs transportant du pétrole. Par conséquent, de nombreuses populations migrent afin de s’établir dans les villes du comté et la pression sur le système de distribution local s’intensifie. 

Le prix de l’eau étant une barrière à son accès, du fait qu’il augmente lors de pénuries, on peut imaginer qu’il soit un jour un bien de consommation exclusif à certaines populations avec des hauts revenus malgré le fait qu’il soit un bien de subsistance par essence. Compter sur le réseau de distribution n’est pas une option très fiable du fait des pannes et acheter de l’eau à des revendeurs coûte très cher.

La meilleure solution revient donc à creuser des puits, simplement pour le faire, encore faut-il posséder des terres. On comprend donc la nature du conflit en suspens qui, au-delà de l’eau, révèle une situation de mauvaise allocations des ressources. Un jour peut-être les habitants de Lamu auront-ils plus de pétrole à boire que d’eau. 

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